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Depuis quand notre établissement se nomme-t-il « Lycée Alfred Kastler » ?
par Michel Lehut
I-HISTOIRE D’UNE RENNAISSANCE INDENTITAIRE : LE LYCEE ALFRED KASTLER
Samedi 7 janvier 1984 mourait à Bandol (Var) le prix Nobel de physique Alfred Kastler. À Denain, 40 ans après, le Lycée Alfred Kastler se souvient.
Au début des années 80, la ville de Denain comptait 2 grands lycées d’enseignement public : le Lycée Classique et Moderne (1) et le Lycée Technique Nationalisé (L.T.N.) (2). Ce dernier était désigné par la population « Lycée Casanova » du nom de la rue Paul Elie Casanova (3) et surtout « Ecole Pratique ». A sa naissance, en 1909, les textes officiels faisaient mention d’une « Ecole Pratique, de Commerce de d’Industrie ». Cette absence d’un nom de baptême amena, au début des années 80, plusieurs professeurs de physique et de mathématiques à convaincre le Proviseur Pierre DEREGNAUCOURT (4) de la nécessité de lui trouver une figure de proue tutélaire.
Le 18 décembre 1981, en séance plénière du Conseil d’administration du Lycée Technique Nationalisé (L.T.N) était approuvée la délibération en faveur du changement de nom de l’établissement. Il fut présenté 3 propositions aux administrateurs de cette instance :
- ALFRED KASTLER : un physicien renommé (vivant),
- PIERRE ET MARIE CURIE : un couple de scientifiques célèbres pour leurs travaux en physique et en chimie (tous deux décédés),
- FRANCOIS LEFEBVRE : ancien député-maire de Denain (décédé). (5)
On se donna les congés scolaires de fin d’année pour y réfléchir tout en se donnant rendez-vous en tout début d’année prochaine. En séance du 15 janvier 1982 fut retenue, à l’unanimité, la nouvelle appellation CITE SCOLAIRE ALFRED KASTLER regroupant un Lycée Technologique et un Lycée d’Enseignement Professionnel. Les services académiques s’y soumirent de bonne grâce. La préfecture du Nord donna son feu vert le 10 janvier 1983 c’est-à-dire près d’un an après le vote du Conseil d’administration. Enfin, la municipalité de Denain se prononça favorablement pour ce changement le 3 février 1983.
Consciente de la nécessité de faire peau neuve, l’Amicale des Anciens Elèves (6), née en 1896, informa ses adhérents du changement de nom du lycée. « Nous savons qu’il faut un certain temps pour qu’une nouvelle appellation soit admise. Nous devrons faire un effort, l’Ecole Pratique de grand papa a vécu depuis longtemps, on y allait pour apprendre un métier. Cité Technique Alfred Kastler convient beaucoup mieux pour un établissement qui prépare les techniciens de demain » pouvait-on lire dans sa revue de janvier 1983.
II- FOCUS SUR ALFRED KASTLER

Mais qui est Alfred Kastler ?
Il naquit le 3 mai 1902 à Guebwiller (Alsace, à l’époque rattachée à l’Empire allemand).
Il mourut le 7 janvier 1984 à Bandol (Var).
Licencié de physique et de mathématiques après ses études à l’Ecole Normale Supérieure, Alfred Kastler fût classé 1er à l’agrégation de physique (1926). Il devint enseignant dans plusieurs lycées puis exerça dans l’enseignement supérieur jusqu’à devenir maître de conférences de physique délégué à l’Ecole Normale Supérieure.
Plus tard, il fut promu professeur de la chaire de physique quantique et de relativité puis de physique moléculaire avant de diriger le laboratoire de l’horloge atomique. Il assura la présidence de l’Institut d’optique théorique et appliquée.
Dès 1936, Alfred Kastler se fit remarquer par sa thèse de doctorat consacrée à la polarisation de la lumière de fluorescence de l’atome de mercure. Il s’illustra, avec d’autres, dans ses recherches sur la méthode de la double résonnance et le pompage optique qui consiste à irradier les atomes avec une lumière spécialement adaptée, et a pour effet de modifier leur répartition entre divers états possibles. Cette découverte permit l’invention du laser, un mot anglais pour Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation qui signifie amplification de la lumière par émission stimulée de radiation.
En 1964, ses travaux lui valurent d’être élu à l’Académie des Sciences puis en 1966 d’être distingué du pretigieux Prix Nobel de physique notamment pour ses « découvertes fondamentales sur le pompage optique » comme l’indique la plaque commémorative de la rue de Lhomond à Paris, située près des laboratoires de physique de l’Ecole Normale Supérieure.
III- UNE INAUGURATION DANS L’INCERTITUDE
Une fois arrêtée la décision de nommer l’établissement Cité Solaire Alfred Kastler, une commission de travail se mit à pied d’œuvre pour peaufiner les conditions d’inauguration fixée au 1er trimestre de la prochaine rentrée scolaire 1983-1984. Dans les couloirs, le bruit courut que l’auguste Prix Nobel viendrait sur site. A l’initiative d’un des professeurs de constructions mécaniques Jean-Claude BOHERE, des contacts furent noués avec l’Ecole d’Arts Plastiques Eloi DECAILLON de Denain. Autour du professeur de sculpture KARPOWICZ et des élèves Tayebi BELHAMMOLI et d’Emmanuel PROUVEUR, s’échafauda un concours relatif à la création d’un médaillon en bronze à l’effigie du Prix Nobel de Physique. La section fonderie du L.R.P. se chargerait des opérations de coulée dans son unité pédagogique de fabrication. Des relations épistolaires entre l’illustre scientifique et le Proviseur Pierre DEREGNAUCOURT parvinrent à obtenir l’accord du physicien ainsi que la photographie de son profil. La section fonderie confectionna alors un moulage confié aux bons soins des professeurs de fonderie DEVOS et André GUELTON. Ils parvinrent au coulage en bronze du médaillon. Ce fut enfin à l’Ecole d’Arts Plastiques de parfaire la ciselure et la finition à peine quelques jours avant la cérémonie inaugurale dont la date n’était toujours pas arrêtée. L’excitation était à son comble parmi la communauté scolaire trop heureuse d’accueillir un hôte de prestige dans cette contrée de l’Ostrevant.
Malade et prudent, Alfred KASTLER se fendit d’un petit courrier adressé au Chef d’établissement dans lequel il confessa : « A l’âge de 81 ans, je sens mes forces diminuer. » A la rentrée scolaire 1983-1984, les préparatifs relatifs à l’inauguration furent affinés dans l’attente du jour J mais durent être reportés compte-tenu de la santé déclinante du Nobel de physique. Contre mauvaise fortune, on fit bon cœur. Durant ce laps de temps, il fut inauguré l’ouverture de la section micromécanique ainsi qu’un internat de garçons. Il fut décidé de différer l’inauguration de la cité scolaire à un peu tard, éventuellement début 1984. Hélas, l’état de santé du d’Alfred KASTLER déclina fortement. Ce dernier tint à écrire au Proviseur qu’il sortait à peine du « Service de cardiologie de l’hôpital de Cochin et devrait pour le moment voyager le moins possible. » L’inventeur du pompage optique à l’origine du laser et de l’horloge atomique ne put se rendre dans la « cité feumière » c’est-à-dire très enfumée à cause des innombrables cheminées d’usines qui vomissaient, au quotidien, leurs nuages de poussières. Le 7 janvier 1984, à 81 ans, l’éminent scientifique s’éteignit dans sa propriété de Bandol. L’inauguration du lycée n’eut jamais lieu.
Aujourd’hui dans ses collections, le Lycée Alfred Kastler conserve toujours le buste en bronze du célèbre scientifique. Une jolie pièce de fonderie de 65 cm x 47 cm pesant plus de 44 kg que l’on sort aux grandes occasions comme ce fut le cas en 2009 au moment de l’exposition consacrée au centième anniversaire de la naissance du lycée Kastler. Depuis 2020, cette œuvre d’art est exposée dans l’une des salles de l’espace muséal niché dans les sous-sols de la cité scolaire.
1. Lycée Classique et Moderne puis appelé Lycée Polyvalent et aujourd’hui Lycée Mousseron-Jurénil (Denain).
2. L.T.N. Lycée Technique Nationalisé ex-Ecole Pratique, de commerce et d’Industrie, aujourd’hui Lycée Alfred Kastler.
3. Paul-Élie Casanova, né le 19 novembre 1917 à Bastia. Ce Corse devint officier de la paix en 1943. Résistant durant le second conflit mondial, il fut torturé puis fusillé par les Nazis le 7 août 1944 au fort de Seclin.
4. Pierre Deregnaucourt : proviseur du L.T.N de septembre 1982 à septembre 1989.
5. François Lefebvre (1871-1956) : président du syndicat des mineurs d’Anzin, gérant de la coopérative ouvrière La Fraternité, maire de Denain de 1912 à 1935 avec une longue interruption pendant la période de la Grande guerre de 1914-1918, député du Nord de 1914 à 1931. Il fut l’auteur d’un historique du mouvement ouvrier à Denain depuis 1883 à 1930.
6. Aujourd’hui association devenue A.A.E.L.A.K. Amicale des Amis et Anciens Élèves du Lycée Alfred Kastler.
Aperçu historique du Lycée Alfred Kastler
par Michel Lehut
L’histoire du Lycée Alfred Kastler de Denain plonge ses racines dans le XIXème siècle finissant au cœur de la « cité feumière », c’est-à-dire d’une agglomération très enfumée par les poussières crachées des gigantesques cheminées d’usines, fort nombreuses en ce temps là.

En moins d’un siècle, la ville propulsée de l’état de village à celui de cite industrielle profita d’une insolente prospérité fondée sur la découverte du charbon, puis sur l’essor d’un puissant empire sidérurgique qui fit la fortune des barons de l’acier.
Les besoins en main d’œuvre qualifiée invitèrent les élus locaux à favoriser la construction de nombreuses écoles publiques qu’encouragèrent d’importantes lois scolaires. A l’aube du XXème siècle, la décision fut prise de créer une Ecole Pratique, de Commerce et d’Industrie qui vit le jour en 1909 avec l’inauguration de ses ateliers, puis en 1910 avec celle des salles de classe. Les bâtiments imaginés par les architectes Portevin et Devaux flamboyèrent de leurs magnifiques briques rouges l’ensemble architectural pour accueillir 109 élèves des deux sexes. Le premier directeur se nommait Alphonse Edmond Champagne, du même nom qu’un illustre breuvage employé pour bénir une naissance vouée à la félicité.

Ainsi commença une longue aventure entrecoupée par deux conflits mondiaux. Durant la Grande Guerre, l’école fut transformée en hôpital militaire et en cachot pour les élèves voulant se soustraire aux diktats de l’occupant allemand. Au cours du second conflit mondial, les bâtiments servirent partiellement de casernement aux soldats germaniques.
A l’origine de la naissance de l’Ecole Pratique, deux sections constituèrent le squelette pédagogique de ce haut lieu du savoir :
– une section industrielle fréquentée par des garçons se destinant aux métiers du bois et du fer (menuisier, mouleur, modeleur, ajusteur tourneur, forgeron, chaudronnier, traceur, électricien) ;
– une section commerciale, mixte, pour les métiers orientés vers le commerce et les fonctions administratives.

Durant l’entre-deux-guerres, naquit la section ménagère dont la popularité en fit le troisième bastion pédagogique. Au cours de cette période vint s’adjoindre l’Ecole Primaire Supérieure destinée davantage aux formations générales. L’apprentissage fit, à son tour, son entrée sous les habits des cours professionnels obligatoires réservés aux jeunes apprentis. Embryonnaire à ses débuts, l’apprentissage consolida ses formations techniques et renforça ses points d’ancrage auprès d’une population entrée prématurément dans le monde du travail.
Les quelques changements d’identité (Collège Moderne et Technique Municipal, Lycée Technique Nationalisé) enracinèrent profondément la vocation industrielle de l’école dont la fréquentation ne fit que croître inexorablement tout au long du XXème siècle.
Toutefois, les morsures du temps finirent par provoquer d’atroces stigmates sur le vieil édifice trahissant une épouvantable vétusté et une profonde décadence patrimoniale peu propice à l’accueil des élèves. Délicate, la situation aurait pu lui être fatale.

Fort heureusement, à deux reprises (1970-1973 puis de 1998-2001), de monumentales opérations de réhabilitation immobilière apportèrent une vivifiante cure de jouvence à la quasi séculaire bâtisse. Au même moment, sous l’aiguillon de remarquables chefs d’établissement, une communauté éducative, animée d’une farouche volonté d’œuvrer au rayonnement de son établissement, s’engagea à promouvoir les performances de ce dernier.
Dès lors, dans ses nouveaux apparats flambant neufs, l’école rebaptisée Lycée Alfred Kastler, du nom du prix Nobel de Physique, put partir à la conquête du XXIème siècle en brandissant avec fierté la bannière de sa devise « Ensemble créons l’avenir ».

Pour en savoir plus sur l’histoire du Lycée Alfred Kastler de Denain, les différents ouvrages de Michel Lehut :
1) Sur les bancs de l’Ecole Pratique de Denain. De la genèse à la Seconde Guerre Mondiale (Ouvrage édité en 2005)
2) La vie à Denain au temps du Collège Moderne et Technique Municipal : 1945-1959 (Ouvrage édité en 2008).
3) Denain et le Kastler au temps du Président De Gaulle :
– tome 1 : le septennat accompli, 1958-1965 (Opus édité en 2024).
– tome 2 : le septennat inachevé, 1966-1969 (Tapuscrit édité en 2025).